04 Février 2020

Une expérience interculturelle

Pays et régions

Élevée dans un monde communiste, Csilla PUSKAS découvre le monde capitaliste en arrivant en France et nous livre une anecdote sur la rémunération du travail.

Une expérience interculturelle

Csilla PUSKAS est issue d’une famille hongroise d’Europe centrale qui s’est retrouvée dans de nombreux pays de la région après la dislocation des trois empires Ottoman, Austro-Hongrois et Soviétique, et la réorganisation des frontières. C’est dans ce contexte mouvementé et multiculturel qu’elle a appris à observer les mécanismes comportementaux des individus et des peuples. Elle est venue en France après la chute de l’Union Soviétique en tant qu’enseignante universitaire. Elle a alors été frappée par l’universalité des différences culturelles et nous raconte comment elle est "tombée" dans l’Interculturel.

L'interculturel pour quoi faire ?

Pouvez-vous raconter vos débuts en France ?

Je maîtrisais bien la langue française et parler français ne me posait aucun problème ; en revanche j’ai été interpellée par l’impact de la dimension non verbale sur les rapports humains. J’étais habillée différemment, je me comportais autrement, la structuration de mes cours à l’université était différente, …

Différence de comportements

Au fur et à mesure, j’ai réalisé que pour mieux m’intégrer, il ne suffisait pas de parler français, de connaître l’histoire, la littérature, la philosophie françaises, mais qu’il fallait aussi développer des comportements parfois radicalement opposés à ceux qui venaient de "mon monde".

Dans le monde communiste où j’ai grandi, où la propriété privée n’existait pas et où l’on a tenté de construire un monde sans classe sociale, je devais faire très attention à tous mes faits et gestes pour ne pas attirer l’attention sur moi, sur ma famille, sur mon nom : plus j’étais humble, mieux j’étais tolérée dans une société qui prônait l’éradication du passé.

Comment avez-vous découvert l’interculturel ?

A l’Université, mes cours portaient sur les civilisations du monde, l’anthropologie culturelle, la logique des peuples, la sémiologie, les langages et communications, des disciplines liées au comportement humain et aux mentalités.

Observation des milieux socio-culturels français

Les mécanismes comportementaux développés pour ma survie en Europe centrale étaient très différents des comportements des Français que je croisais dans ma nouvelle vie. J’ai voulu comprendre s'il existait des mécanismes comportementaux délimitant des milieux socioculturels en France ou si la société française était plus homogène que mon "ancien monde".

J’ai vite découvert qu’en France aussi il y avait des différences de milieux et j’ai cherché à appréhender les tenants et aboutissants de tous ces cercles, en allant jusqu’à explorer leurs codes linguistiques, comportementaux, non verbaux.

Impact sur les parcours personnels et professionnels

J’ai alors remarqué que ces différences ne faisaient pas qu’enrichir le "folklore" sociétal français, mais avaient également un impact sur les parcours personnels et professionnels des individus, sur leur intégration dans l’entreprise, sur leur habileté à négocier dans des contextes variés.

Mue par un amour du génie humain vainqueur en toutes circonstances et par une curiosité intellectuelle, j’ai répertorié plusieurs mondes français jusqu’au jour où l'on m’a demandé de faire une conférence en entreprise sur les pays de l’Europe de l’Est.

Ma vie d’interculturaliste a alors démarré lorsqu'on m’a ensuite demandé de préparer plusieurs journées de formation pour aider l’entreprise française à s’installer en Europe centrale et de l’Est.

Que retenez-vous de cette expérience interculturelle ?

Travailler pour le plaisir !

Je n’avais aucune notion d’argent, ne connaissais rien aux mécanismes financiers et ne savais pas comment fonctionnait la relation client-fournisseur en Occident et, encore moins, en France. J’ai donc animé dix journées de formation sans qu’il ne soit jamais question d’argent ni de rémunération.

Trois mois plus tard, mes commanditaires m’ont réclamé ma facture. Je leur ai répondu que cela m’avait vraiment fait plaisir de préparer et d’animer ces journées de formation et que je ne savais pas trop comment gérer la question financière.

Ils m’ont alors convoquée et je pense qu’ils se sont amusés à découvrir un « prototype humain » qu’ils n’avaient encore jamais rencontré auparavant et qui travaillait par plaisir sans oser se faire payer.

Comment rémunérer le travail ?

Après avoir avoué avec sincérité mon incapacité à évaluer la valeur de mon travail, ils m’ont demandé d'estimer le temps - non perdu dans des malentendus et de potentiels échecs - que les personnes formées allaient gagner dans leur vie professionnelle grâce à mon enseignement. Je leur ai répondu "peut-être environ une heure par jour". Ils ont alors fait des calculs à partir du salaire annuel des participants et m’ont proposé un prix exorbitant pour payer ma prestation.

De toute mon existence, je n’avais jamais imaginé qu’autant d’argent pouvait être donné à quelqu’un et j’ai répondu que je ne pouvais pas accepter une telle somme. Je leur ai proposé de refaire le calcul en considérant que l’impact de mes formations était seulement de 5 minutes par jour tout au plus. J’ai fini par accepter d’être payée sur cette base-là, non sans un certain malaise car c’était, pour moi, une somme conséquente.

Notion de gratuité

Je me souviens que j’ai eu un gros cas de conscience d’avoir accepté tout cet argent alors que les managers semblaient très satisfaits du tarif ainsi calculé et tenaient de toute évidence à rémunérer mon travail.

Mais pour moi, quelle aventure ! Il m’était difficile de faire payer le plaisir de travailler et la joie que me procurait le fait de pouvoir les aider à comprendre et à approcher les gens de l’Est. Pour moi, venant de ce monde où l’on ne travaillait pas pour l’argent, mais par conscience professionnelle, le fait de travailler de surcroît avec plaisir, me suffisait comme récompense.

J’ai donc dû apprendre à faire la part des choses, me défaire d’une représentation négative et d’une certaine culpabilité à recevoir de l’argent.

Quel enseignement en avez-vous tiré ?

Influence d'une programmation communiste

Ce n’était pas seulement la culpabilité catholique par rapport à l’argent qui œuvrait en moi, mais bien plus encore, la programmation communiste dans laquelle je suis née.

Dans le communisme, l’argent n’existait pas, personne ne faisait de facture, tout était propriété de l’État. Nous n’avions pas à nous en soucier puisque nous avions un toit, un travail garanti, une rémunération à peu près identique pour tous ; ce salaire nous servait à nous nourrir dans une société sans commerce, sans shopping, sans excès, sans tourisme où chacun accédait gratuitement à la culture, au sport, à la santé.

Le fait que les gens travaillent plus ou moins bien dépendait uniquement de leur conscience professionnelle.

L'avantage d'une posture humble

Le fait de ne pas avoir demandé d’argent et d’avoir eu une posture humble, a été décodé par ces managers français d’une manière particulière.

J’ai compris bien plus tard que l’humilité pouvait être un avantage lors d’une négociation avec des Français et qu’il pouvait être contre-productif dans la culture française d’afficher une trop grande confiance en soi et d’imposer des exigences pécuniaires.

Depuis cette époque, je suis allée de découverte en découverte et me suis enrichie au contact d’autres cultures. L’approche interculturelle m’a ouvert de nouveaux horizons et des perspectives passionnantes.

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