22 Novembre 2021

« Paris-Athènes » : une exposition interculturelle au musée du Louvre

Pays et régions

A l'occasion de l’exposition Paris Athènes, Naissance de la Grèce moderne 1675-1919, au musée du Louvre, Akteos vous propose un retour sur les liens profonds qu'unissent la France et la Grèce.

« Paris-Athènes » : une exposition interculturelle au musée du Louvre

Si la bonne entente entre la France et la Grèce fait l’objet de l’actualité à travers le programme d’armement grec en plein essor, l’exposition Paris Athènes, Naissance de la Grèce moderne 1675-1919, au musée du Louvre jusqu’au 7 février 2022, rappelle que les liens entre les deux pays s’inscrivent aussi dans le temps long. Retour sur ces trajectoires humaines, en Grèce et en France, intimement liées à la constitution des collections du Louvre, avec Anna, consultante Akteos.

Retour sur deux siècles de trajectoires croisées

2021 scelle les liens entre la Grèce et la France dans le calendrier des deux pays. En sus de la commande en janvier de 18 avions de combat Rafale pour 2,5 milliards d’euros, la Grèce a décidé d’en acquérir six autres, a annoncé le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis le 12 septembre dernier. A cette commande importante et inédite (la Grèce étant le premier pays européen qui fait le choix de se doter du Rafale), s’ajoute celle de trois frégates Belharra le 28 septembre1. Bien naturellement, ces accords militaires visent à dissuader la politique d’Ankara contre laquelle la France a protesté ces derniers mois.

2021 marque aussi un double anniversaire dans l’agenda culturel parisien : celui du bicentenaire du début de la guerre de libération de la Grèce (25 mars) et l’entrée de la Vénus de Milo dans les collections du Louvre (1er mars). Ces deux événements sont rappelés dans une exposition monumentale qui s’est ouverte au musée du Louvre ce 28 septembre. Si l’ambition consiste à retracer les liens culturels, diplomatiques et artistiques tissées entre la Grèce et la France du XVIIe siècle jusqu’au début du XIXe, cette exposition montre aussi leur influence sur la constitution des collections du département des Antiquités. L’objectif est de croiser ces trajectoires humaines et le transfert des artefacts antiques qui se sont déployées sur trois siècles où l’espace hellénique est un champ de circulation ouvert. Cinq sections jalonnent l’exposition où la Grèce prend les traits d’une femme à travers deux sculptures, la Vénus de Milo (3e quart du IIe s. av. J.-C.), laJeune Grecque de David d’Angers et la toile d’Eugène Delacroix, les Ruines de Missolonghi (1826). Trois œuvres illustrent la lecture française de la quête de la jeune Grèce pour devenir un Etat-nation européen.

La Vénus de Milo : une icône grecque devenue française

Au moment où commence cette histoire, Athènes est une bourgade ottomane de 5 000 habitants circonscrite sur le flanc nord de l’Acropole, alors forteresse. Deux ambassades françaises y font escale – celle du Marquis de Nointel en 1675 et celle du Comte Choiseul Gouffier, ambassadeur français auprès de la Sublime porte entre 1784 et 1792 - avec leur cortège de scientifiques et d’artistes. Puis, dans le cadre d’expéditions militaires venues soutenir les Grecs lors de la guerre de libération (1821-1830), des prélèvements d’artefacts antiques ont eu lieu notamment en Morée (Péloponnèse) en 1826 ou encore à Milos, avant leur départ vers la France pour être aujourd’hui exposés au musée du Louvre.

Parmi ces fragments, une sculpture, la Vénus de Milo, retient notre attention. Cette sculpture de la déesse Aphrodite est une véritable prise de guerre. Découverte dans le champ d’un Grec de l’île de Milos, elle aurait été achetée à ce dernier par un officier de la marine française alors de passage sur cette île située à l'extrême sud-ouest de l'archipel des Cyclades. La France obtient le firman du Sultan pour exporter cette antiquité, mais le grand amiral de la flotte ottomane, le Prince Mourousi, s’en empare. La flotte française parvient à désembarquer la pièce et l’acheminer jusqu’en France. Elle arrive ainsi à Paris dont les yeux sont rivés sur la guerre d’indépendance, encourageant les Grecs à s’émanciper des Ottomans. La Vénus de Milo devient alors l’ambassadrice de cette Grèce, province ottomane dont les communautés orthodoxes sont considérées comme des « gavûrs », des infidèles, citoyens de seconde zone, lourdement taxés, ce qui constituera le point de départ des révoltes. Très vite, à Paris, au Louvre, la Vénus de Milo sera moulée, reproduite en plusieurs exemplaires pour diffuser son image partout dans le monde : c’est donc une femme qui incarne la libération, l’émancipation du peuple grec. Très vite, dans tous les musées français, toutes les universités, ce moulage est présent2. C’est de cette manière que la fabrication d’une icône s’est opérée.

Le philhellénisme en France

Deuxième moment clé de cette exposition : la Révolution grecque ici traitée sous le prisme du philhellénisme, mouvement intellectuel de soutien aux Grecs, dans leur lutte contre l’Empire ottoman pour l'indépendance (1821-1829).

La jeune adolescente de David d’Angers dont le plâtre original a été prêté pour l’exposition, incarne la jeune Grèce. Pour honorer le général Marco Botzaris (1788-1823), le sculpteur français, prix de Rome en 1811, a envoyé à ses frais, cette sculpture commémorative en marbre (conservée au Musée Nationale d’Athènes) pour la placer au jardin des héros à Missolonghi sur sa tombe. Si le nom de Botzaris n’est pas inconnu des Parisiens3, force est de rappeler qu’il est l’un des principaux protagonistes des débuts de la guerre d’indépendance.

Il a notamment collaboré avec François Pouqueville, alors consul de France à Ioannina et philhellène convaincu. Sa mort héroïque à la bataille de Kefalovryso advient au moment critique où la révolution elle-même craint pour sa survie. En effet, lors du second siège de Missolonghi (été 1823), il s'enferma dans les murs de la ville qu’il tenta de sauver : il pénétra de nuit, avec 350 hommes dans le camp ennemi et fit un carnage. Atteint d’une balle à la tête, l’intrépide mourut le lendemain à Carpenitza. L’émotion suscitée par cet acte de dévouement (qui rappelle celui de Léonidas trouvant la mort à la bataille des Thermopyles) accélère ainsi la prise de conscience des Européens sur la nécessité de venir en aide aux Grecs en train de perdre la guerre.

L’annonce de la disparition de Lord Byron4 parti sur le champ de bataille soutenir l’insurrection grecque marque un tournant. La mobilisation d’intellectuels, poètes, compositeurs français, à l’instar de Victor Hugo, Hector Berlioz, Chateaubriand, aboutit à l’organisation d’une exposition tenue à la galerie Lebrun à Paris, en 18265.

 

Les regards révolutionnaires de Delacroix

Parmi les œuvres exposées d’artistes dont une grande partie étaient les héritiers de Jacques Louis David qui venait de mourir, celle d’Eugène Delacroix se distinguait : La Grèce sur les ruines de Missolonghi (1826). Dans un paysage de feux, de flammes et de sang6, une femme7, dont les bras dans un geste de lamentation, presque religieux, surgit des ruines et des cadavres. Icône d’un peuple fier mais battu, elle s’élève en position centrale sur toute la hauteur de la toile incarnant la Grèce avec une blancheur de peau fantasmée par Delacroix et qui vise à contraster avec celle des Ottomans. Si Delacroix n’est jamais allé en Grèce, il est parvenu ici à une synthèse émotive.

Quelques années plus tard, Delacroix choisit de représenter dans un même élan, la révolution des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830) avec sa toile conservée au musée du Louvre (Département des Peintures françaises) La liberté guidant le peuple. Découlant de ses études faites pour ses œuvres philhéllénistes, Delacroix fait entrer en fusion l’allégorie et l’histoire. Enthousiasmé par le retour du drapeau tricolore, il choisit une femme – Marianne – pour représenter l’insurrection populaire, dont la pose rappelle celle du gladiateur Borghese. Car loin d’être soumise, implorant la protection des grandes puissances, cette Liberté est ici permanente, en mouvement : tête haute, elle marche vers nous jusqu’à être presque hors champ. Tel un rouleau compresseur, cette allégorie sera ainsi reprise pour illustrer des événements du XXème siècle, à l’instar des affiches de mai 1968.

 

L’interculturalité est ainsi célébrée cette année au Louvre et plus largement en Europe, dont la mémoire collective s’enracine dans ce pourtant si jeune pays.

 


1 Ces accords cherchent à dissuader Ankara de poursuivre ses prospections des gisements de gaz dans les eaux territoriales revendiquées par la Grèce et la République de Chypre, menées depuis 2018.

2 Un moulage de l’Université de Montpellier est exposé à l’exposition Paris-Athènes.

3 Une rue et une station de métro portent son nom dans le quartier des Buttes Chaumont.

4 Figure du romantisme, ce poète britannique meurt des suites d’une fièvre le 19 avril à Missolonghi et non, sur le champ de bataille comme aime raconter la légende.

5 Véritable levée de fond, cette exposition remporta un franc succès puisqu’elle accueillit 28938 visiteurs en six mois, ayant payé un billet estimé entre 1 et 5 francs, soit au total 49193 Francs de recette.

6 C’est sous l’intitulé d’« allégorie » que Delacroix l’a vendu lui-même en 1852 à la ville de Bordeaux. La récente restauration effectuée à l’occasion de l’exposition Delacroix (1798-1863) au musée du Louvre en 2018, montre notamment deux détails naturalistes sinon sensationnalistes : des têtes coupées et des traces de sang qui ont giclé au pied de la jeune femme.

7 Les dimensions de cette huile sur toile sont de 213 cm de hauteur et 209 cm de largeur.

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