15 Octobre 2021

« Les Français ne travaillent pas assez » : info ou intox ? Comparaison franco-allemande et explication culturelle

Pays et régions

L’image du Français toujours en grève ou en vacances est régulièrement renvoyée de l’étranger et nous invite à creuser le sujet. Les Français travaillent-ils assez ?

« Les Français ne travaillent pas assez » : info ou intox ? Comparaison franco-allemande et explication culturelle

 

Il l’avait affirmé à plusieurs reprises depuis le début de son mandat. Mardi 12 octobre, à l’occasion de la présentation de son plan d'investissement "France 2030", le président Emmanuel Macron l’a répété :

« Quand on compare, nous sommes un pays qui travaille moins que les autres en quantité ».

Cette assertion, qui fait écho aux images régulièrement renvoyées de l’étranger du Français toujours en grève ou en vacances, nous invite à creuser le sujet et à comparer la France sur ce point aux autres pays européens et tout particulièrement à l’un d’entre eux, régulièrement cité en modèle : l’Allemagne.

Plusieurs constatations :

Les chiffres révèlent une réalité contrastée

En se plongeant dans les statistiques, on apprend que la situation varie sensiblement selon les catégories, et selon que l’on s’intéresse à la durée hebdomadaire de travail ou à sa durée sur une vie. Selon une analyse publiée par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques au Ministère du Travail) en juin 2018 portant sur des données de 2016, la durée habituelle hebdomadaire du travail des salariés, toutes catégories confondues, est de 36,3 heures en France, proche de la moyenne européenne (36,4), là où l'Allemagne (34,8), le Danemark (32,3) et les Pays-Bas (29,3) ont des durées inférieures. On travaille donc plus dur en France que dans les pays du Nord de l’Europe ?

Pas si simple. La durée moyenne citée ici inclut en effet tous les types de contrats, y compris ceux à temps partiel, culturellement beaucoup plus fréquents dans ces pays. Si on se concentre sur les contrats à temps complet, la France, avec 39,1 heures par semaine redescend un peu en-dessous de la moyenne européenne (40,3 heures) et de l’Allemagne (40,4 heures).

Mais la situation s’inverse de nouveau si on s’intéresse à certaines catégories de personnes comme les cadres (43,1 heures hebdomadaires), ou les travailleurs non salariés (45,3 heures) qui travaillent plus en France en durée habituelle hebdomadaire que la moyenne européenne.

Il est par contre une donnée sur laquelle la France fait nettement moins bien que ses voisins, et sur laquelle semble s’appuyer le Président de la République dans son affirmation : le volume annuel d'heures travaillées rapportées à l’ensemble de la population. Non, ce ne sont pas nos fameuses vacances, nos jours de RTT… et de grève qui en sont la raison, mais un plus petit nombre d’actifs dans l’ensemble de la population. En cause : une entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail et surtout, une sortie plus précoce des seniors. Rapporté à l’ensemble de la population (des bébés aux personnes âgées), la France est en 2019 avec 630 heures travaillées par habitant et par an (contre 722 en Allemagne et 1000 en Corée du Sud) le pays de l’OCDE où ce chiffre est le plus bas.

En résumé, les Français qui travaillent le font autant que dans les autres pays, mais les Français travaillent moins longtemps sur la durée de leur vie.

Dans nos perceptions, on travaille toujours plus que son voisin

Cela se vérifie dans le contexte franco-allemand. Premier responsable de cet écart de perception : des horaires de travail différents. Les Français restent souvent plus tard, les Allemands commencent plus tôt. Du coup, chacun a l’impression de pas fournir la même implication au travail. Lorsque l’Allemand tente de joindre son collègue français tôt le matin, son appel restera sans réponse. Le soir à l’inverse, l’Allemand devient injoignable. Par rapport à mon référentiel, j'ai le sentiment que l'autre ne s’investit pas autant.

Deuxième responsable : un droit du travail différent. A poste équivalent, un Français pourra avoir le statut de cadre et être au forfait jour autorisant une certaine flexibilité dans les horaires alors que son homologue allemand ne le sera pas et devra compter ses heures. Le concept de « cadre » à la française couvre en effet une population beaucoup plus large que celui de « leitende Angestellte » en Allemagne.

La loi allemande sur le temps de travail fixe la durée de travail maximale à 8 heures par jour ouvrable, qui peut être portée à 10 heures par jour, dans des cas très précis. Or, comme toute loi en Allemagne, elle est respectée scrupuleusement. De toute façon, l’inspection du travail veille au grain ainsi que, dans l’entreprise, le très puissant Betriebsrat (Works Council / ou littéralement Comité d’Entreprise), instance représentative du personnel investie de nombreux pouvoirs dont rêveraient les IRP français.

Enfin et surtout, si les cadres français ont tendance, avec 43,1 heures hebdomadaires en moyenne, à passer un peu plus de temps au bureau que leurs homologues allemands, il y a une explication culturelle.

 

Comparaison entre les Profils Culturels allemand et français

 

Plus axés sur la relation personnelle, les Français, comme leurs voisins du sud de l’Europe, ressentent le besoin de créer des liens interpersonnels pour mieux collaborer. Cela entraine une appétence pour les pauses café, les discussions informelles, et surtout, la sacro-sainte pause déjeuner, pendant laquelle nos collègues allemands ne trouvent naturellement rien de mieux que de nous fixer des réunions ! Il faut dire qu’ils ont, de leur côté, fini de manger depuis longtemps, les repas se prenant plus tôt en Allemagne. Et ils ne comprennent pas qu’on puisse de notre côté passer autant de temps à se nourrir. Comme s’il ne s’agissait que de cela…

Le rapport à la hiérarchie joue aussi un rôle important. Contrairement aux préjugés solidement ancrés de ce côté-ci du Rhin, les études menées par les sociologues de l’interculturel (Hofstede en particulier) révèlent que c’est en France qu’il est le plus fort, ce qui peut entraîner un phénomène de « présentéisme » chez certains collaborateurs : le sentiment de devoir être présent et disponible pour sa hiérarchie. Cela est beaucoup moins vrai en Allemagne, où l’on attend de son manager un cadrage détaillé des attendus du poste, en rapport avec le temps de travail du collaborateur. Si des tâches sont rajoutées en cours de route, il sera nécessaire de convenir ensemble d’en retirer d’autres pour ne pas dépasser le temps hebdomadaire de travail. Cette façon de procéder - dosage précis de la charge de travail en fonction des heures effectuées - est propice au temps partiel, très prisé des mères d’enfants en âge scolaire. L’école en Allemagne a en effet lieu le matin.

Les phénomènes décrits ici ont bien sûr tendance à évoluer avec les nouvelles générations, moins hiérarchiques que leurs aînées et plus attentives à l’équilibre vie professionnelle – vie privée. Surtout, l’essor du télétravail conséquent à la crise du Covid bouleverse ces logiques puisque, par essence, il réduit les échanges informels à la cantine et la machine à café (même si nous ne manquons pas d’ingéniosité pour imaginer des alternatives virtuelles).

Il sera donc intéressant de refaire le point d’ici quelques années pour suivre ces évolutions et voir si on pourra, oui ou non, affirmer à l’avenir que les Français ne travaillent pas assez.

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