15 Mars 2023

Les défis de la gestion de projets multiculturels

Management interculturel

Comment créer une culture projet efficace ? Robert de Quelen nous partage l’expérience d’une grande banque française qui lui a inspiré un chapitre de son livre sur la gestion de projets en environnement multiculturel.

Les défis de la gestion de projets multiculturels

Le projet, révélateur de leadership

Selon la Harvard Business Review, qui a dédié un hors-série spécial à ce sujet, les projets sont en train de devenir le mode opératoire privilégié de la transformation des entreprises. Les projets canalisent les énergies, mobilisent et organisent des ressources pour transformer les intentions en objectifs concrets, mesurables, les objectifs en actions, et les actions en résultats. Le mode de gouvernance spécifique des projets est parfaitement adapté à la nécessité de franchir les frontières organisationnelles internes et externes.

Enfin, le travail en mode projet agit comme un révélateur de leadership pour de nombreuses personnes qui ne se sentent pas à l’aise dans les hiérarchies traditionnelles, surtout lorsque celles-ci reposent sur le statut et les relations plutôt que sur la capacité à délivrer des résultats.

Créer de la valeur par la diversité des cultures

Lorsque ces projets se déroulent dans un environnement interculturel, ce qui est de plus en plus souvent le cas, les femmes et les hommes qui en ont la charge se trouvent confrontés à des niveaux de complexité supplémentaires auxquels ils ne sont pas toujours préparés.

Les chefs de projets échangent volontiers de cuisantes anecdotes sur les Chinois ou les Indiens qui hésitent à prendre une décision importante sans en référer à leur hiérarchie. D’autres évoquent en soupirant, les Britanniques au langage si ambigu que l’on ne sait pas clairement à quoi ils se sont réellement engagés, les Allemands « rigides » et les Américains qui ne prennent pas le temps d’établir des relations de confiance. Mais au-delà de ces stéréotypes, l’enjeu, passionnant, est de développer une compréhension fine de l’infinie diversité des cultures - nationales ou professionnelles - et de créer de la valeur pour le projet sans en détruire. Des erreurs d’appréciation et maladresses pourraient en effet se révéler fatales.

La première compétence à développer, en matière de projets interculturels, est donc la capacité à décrypter et modéliser son environnement dans toutes ses dimensions : culturelle, mais aussi politique, économique, sociétale et professionnelle, pour évaluer et hiérarchiser correctement les risques.

Apprendre à gérer les risques interculturels

Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de travailler sur ce sujet avec un groupe de directeurs de projet dans une grande banque française.

Dans un premier temps, ils avaient été décontenancés par le nombre de dimensions à prendre en compte pour gérer les risques interculturels. Prises de décisions, communication hiérarchique et transversale, gestion des ressources et des sous-traitants constituaient autant de vulnérabilités aggravant le caractère imprévisible et la complexité du pilotage de leurs projets.

Au cours d'un atelier de travail, ils s’étaient toutefois aperçus qu’ils pouvaient s’appuyer sur les méthodes classiques de gestion de projet pour identifier, rationaliser, prioriser ces risques et anticiper les mesures de mitigation nécessaires. Ils avaient aussi pris conscience de la manière dont leur propre façon de communiquer, insuffisamment explicite, créait de l’ambiguïté et donc de l’incertitude pour leurs collègues et correspondants issus d’autres cultures.

Certaines de leurs décisions, particulièrement techniques ou budgétaires, pouvaient apparaître arbitraires faute d’avoir été suffisamment expliquées. Ainsi, la priorité absolue qu’ils devaient accorder aux demandes de la Banque Centrale Européenne était tellement évidente pour eux qu’ils oubliaient d’en informer leurs correspondants africains ou asiatiques. Dans ce cas, la logique réglementaire l’emportait systématiquement sur toute autre considération, y compris financière. Une fois compris et intégré par toute l'équipe, ce principe était devenu un facteur de prévisibilité plus qu’une contrainte.

Définir un référentiel commun

Au fil des échanges, ces directeurs de projet avaient compris l’importance d’établir un référentiel réglementaire, technique et même comportemental commun. Ce cadre, enrichi ou assoupli à l’aide des suggestions de leurs collègues internationaux, devint rapidement une aide, et l’un des ingrédients fondateurs d’une culture projet partagée entre tous les acteurs. En cas de désaccord, ce référentiel commun permettait de trouver des compromis sans avoir recours aux hiérarchies respectives, et donc de gagner du temps tout en sauvant la face des uns et des autres.

L’un de ces directeurs de projets s’était alors aperçu qu’il était possible de diminuer les tensions en séparant les échanges dédiés aux sujets opérationnels de ceux concernant le référentiel (process, critères et modalités de prise de décision, arbitrages). La communication entre toutes les parties prenantes devenait beaucoup factuelle et surtout plus fluide, libérée des non-dits et des appréhensions, des rapports de pouvoir et des craintes respectives. Si les désaccords avaient pour origine des points de vue ou des intérêts divergents, ils étaient la plupart du temps résolus en appliquant les process prévus à cet effet. Mais s’ils provenaient d’une règle ambiguë ou mal définie, susceptible de créer d’autres difficultés à l’avenir, une réunion de gouvernance était organisée, indépendamment des enjeux opérationnels. Ces « bonnes pratiques » avaient peu à peu contribué à établir un climat de confiance à même de transcender les différences culturelles et de dissiper les malentendus.

Bien entendu, les Français restaient des Français, les Indiens des Indiens, les Camerounais des Camerounais et les Tchèques des Tchèques. Régulièrement, des comportements inspirés de leurs cultures respectives inséraient de petits bugs dans le logiciel du projet. Mais les écarts pouvaient désormais s’envisager par rapport au centre de gravité commun : la mission, et non en comparant les mérites respectifs de l’approche française, indienne, camerounaise ou tchèque.

Dans une époque marquée par une grande sensibilité aux enjeux post-coloniaux, la découverte qu’il était possible de créer une culture projet commune, inclusive, transcendant les cultures des uns et des autres sans nier leurs singularités, représentait un atout majeur.

Ce sont des expériences comme celle-ci qui ont inspiré « Alice au pays des projets », un ouvrage sur la gestion de projets en environnement interculturel que j’ai eu le plaisir de corédiger avec David Colliquet, un ingénieur français basé en Allemagne.

Ecrit sous la forme d’un récit, le livre retrace l’expérience d’une directrice de projet française en charge de lancer un satellite avec l’aide d’équipes basées dans divers pays européens. Chacun des chapitres est suivi d’une fiche technique décrivant une « bonne pratique » transposable. L’ensemble décrit un véritable parcours de développement du leadership interculturel, mettant en œuvre la triple agilité culturelle, managériale et comportementale.

Maîtriser la « quatrième dimension » des projets (avec le temps, le budget et les spécifications) représente un véritable accélérateur de carrière. Plutôt que vouloir simplifier la complexité, nous nous sommes donné pour objectif de la rendre lisible, en espérant ainsi faire œuvre utile.

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