Retour d'expatriation
Le tabou du choc culturel dans son propre pays !
Pour faire écho aux "tribulations d'une femme expatriée au Brésil", Monique Cumin témoigne de son retour d'expatriation et parle du tabou du choc culturel dans son propre pays. Flashback en 2009 : après 10 ans passés dans 3 pays (Royaume-Uni, Thaïlande et République Tchèque), Monique décide d’accepter une opportunité professionnelle qui lui permet de rentrer en France.
Un retour sous les meilleures auspices
Sur le papier, ce retour s’annonce sous les meilleurs auspices : mon conjoint et moi avons tous les deux un bon poste à Paris ; dans mon cas, il s’agit même d’une belle promotion. Nos trois enfants sont ravis de pouvoir enfin découvrir leur propre pays, tout en continuant à étudier en anglais dans une école internationale. Nous trouvons rapidement la maison de nos rêves, à deux pas de l’école. Nous sommes enthousiastes à l’idée de renouer avec des amis et anciens collègues perdus de vue pendant toutes ces années. Que rêver de mieux ?
Dès mon retour, mes amis me posent LA question : « Alors, qu’est-ce que cela te fait de rentrer en France après toutes ces années passées à l’étranger ? » Je suis presque étonnée par cette question. Après tout, nous sommes dans notre propre pays, dont nous maîtrisons la langue et les codes, pourquoi serait-il difficile de s’y réadapter, surtout dans les conditions quasi-parfaites de notre retour ?
Les premiers mois passent. Je renoue avec le plaisir d’acheter ma baguette de pain quotidienne, je m’extasie sur le choix et la qualité des fruits et légumes du marché. Nous redécouvrons le plaisir de déambuler à Paris, une des plus belles villes du monde. Je m’investis dans mon nouveau job, qui est une création de poste dont le périmètre doit être défini. Sans le savoir, je vis pleinement la phase d’euphorie du choc culturel.
Un choc culturel inversé
Puis la réalité me rattrape : une sorte de sentiment diffus de ne pas être à ma place. Un sentiment d’incompréhension face aux réactions de certains de mes collègues français. Une frustration de sentir que mon expérience antérieure n’est pas vraiment valorisée. Voici donc ce que l’on appelle le choc culturel inversé, celui qui peut être ressenti quand on rentre dans son propre pays.
L’impression d’être une étrangère dans mon propre pays. Je ne sais plus remplir une feuille d’impôts (le passage par l’expatriation rend, il est vrai, la déclaration plus complexe); je ne comprends plus rien à la politique française : c’est un peu comme si j’étais passée de la saison 3 à la saison 8 de ma série préférée. De nouveaux personnages sont apparus, d’autres n’existent plus ; j’ai raté 10 ans de chanson française, de films et de présentateurs TV. Mes enfants parlent un français d’adulte et ne connaissent pas les expressions typiques des ados. Quant à moi, je n’arrive plus à parler français avec mes collègues dans des discussions business; mon franglais les surprend tous les jours.
La difficulté à communiquer ce que j’ai vécu. Comment résumer 10 ans de sa vie dans 3 pays très différents, un tsunami, un coup d’état et bien d’autres aventures? Par où commencer ? Mais au fait, les personnes qui m’interrogent sont-elles vraiment intéressées par toutes mes histoires ?
Un décalage dans les façons de travailler
Un décalage culturel dans les façons de travailler : je redécouvre avec des yeux neufs les réunions interminables qui démarrent à 18h, au mépris de ceux qui ont des obligations familiales. Les personnes qui prennent 4 semaines de vacances d’affilée au mois d’août en laissant en plan des projets internationaux. Les mois de mai où les ponts et les RTT paralysent le business. Les bulletins de paie illisibles et incompréhensibles. L’armada de stagiaires. Les chefs qui ont toujours raison et qui doivent décider de tout. Des analyses de 500 pages pour…confirmer la stratégie actuelle.
L’impression que l’expérience professionnelle dans des pays émergents n’est pas vraiment valorisée. Les meilleures pratiques venant de pays émergents sont souvent traitées avec peu de considération par mes collègues français. Il leur semble impensable que l’on puisse répliquer en France une idée qui a bien fonctionné au Brésil, en Chine ou en Tunisie. De même, les CV de collaborateurs ayant passé plusieurs années dans des pays émergents sont souvent jugés moins attractifs que ceux des pays développés. Les préjugés ont encore la vie dure.
Pourquoi négliger le retour ?
Voici donc quelques symptômes du choc culturel du retour. Dans mon cas, ce malaise a été relativement passager et mes capacités d’adaptation m’ont permis de passer le cap au bout de quelques mois. Mais pour beaucoup, la situation n’est pas aussi idyllique. En cas de difficultés prolongées, il est souhaitable d’offrir aux anciens expatriés un espace de parole pour prendre du recul sur leur expérience et mieux absorber ce choc. Or l’accompagnement des expatriés dans les multinationales est le plus souvent concentré à 100% sur « l’avant » (formation interculturelle, cours de langue), et très rarement sur « l’après » (gestion du retour). Une piste de réflexion à mener pour les RH !